LES NOUVELLES GOUVERNANCES : KESAKO ?

La constitution d’un groupe social, quel qu’il soit, passe par des conditions essentielles sans lesquelles il ne peut exister et notamment par l’utilisation d’un langage commun. Sans langage commun pas de dialogue, sinon de sourd, pas de compréhension, ni de construction possible…
Pour preuve, lorsque vous Leaders d’entreprise vous prononcez certains mots comme « performance » parlez-vous de résultats financiers, de services ajoutés, de rapidité d’exécution, de haute technicité, de comportements pro actifs, de cohésion sociale ? On voit combien ce mot, vaste et vague, inclus de notions subtiles que chacun, selon son poste et son système de valeur, comprendra à sa manière dans l’entreprise.
Alors, pour matérialiser le flou dans lequel nous sommes aujourd’hui, voici un défi :
Donnez rapidement une définition précise du groupe de mot « Nouvelles Gouvernances » ?

Vous avez un instant de flottement et votre attention se tourne vers l’intérieur, vos neurones se mettent en marche à la vitesse grand V. Les mots défilent dans votre tête, certains s’assemblent, des pistes se font jour, vous avez intuitivement ou mentalement une idée qui prend forme… mais une définition précise, que nenni !
Diriger autrement, l’Homme au centre, respecter, partager, consulter, démocratie ou management participatif, oui, ces mots concernent le sujet mais ne donnent pas vraiment de définition. En tout cas pas une définition opérationnelle.

REVOIR LES SYSTEMES

C’est Le Grand Dictionnaire Terminologique du Québec (Canada) qui est le plus inspirant dans sa définition car, sommes toutes, la résurgence de ce mot nous vient de là bas. Le terme gouverne a été proposé au Québec dans les années 1990 comme équivalent français du governance (anglais), mais c’est le terme gouvernance qui s’est généralisé et implanté dans l’usage, au Québec comme en Europe.

« Gouvernance : manière d’orienter, de guider, de coordonner les activités d’un pays, d’une région, d’un groupe social ou d’une organisation privée ou publique. La substitution de « gouvernance » à des concepts tels que « gouvernement » ou « gestion » est révélatrice d’une évolution significative dans l’exercice du pouvoir. Cela se traduit concrètement par une participation accrue des individus à l’élaboration des décisions et à leur mise en œuvre. »

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Gouvernement ou Gestion signale une forme figée, qui dans nos sociétés fait référence à notre système d’organisation (structure pyramidale) et Gouvernance un processus, (une suite d’opérations) qui permet une évolution des structures d’organisation.

Si le mot Gouvernance traduit déjà une notion récente (participation accrue de tous les membres d’une organisation à l’élaboration des décisions et à leur mise en œuvre) que vient préciser le mot Nouvelles ?
Le mot Nouvelles vient simplement signaler qu’il est temps de faire, entre autres, muter les systèmes, nos chers systèmes (pyramidal et démocratique) qui produisent des mal être et des laisser pour compte. Et le pluriel induit qu’il existe plusieurs pistes.

INTERROGER LES PARTIES PRENANTES

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La participation

Le terme partie prenante, surtout utilisé dans le domaine de la concertation, recouvre tout acteur interne ou externe d’une organisation concerné par une prise de décision avec une exigence éthique. C’est par cette attention que la démocratie et le management participatifs sont nés. Sauf que, in fine, si la participation contribue à améliorer des projets, c’est quand même la majorité démocratique (49/51) ou une petite minorité possédant le pouvoir qui prend les décisions finales. Et sous cet angle, la participation peut être vue comme l’exploitation unilatérale de la créativité et du bon sens de chacun. Après avoir connu un engouement notoire (on peut enfin donner son avis), la démocratie et le management participatifs sont victimes aujourd’hui des limites de leur propre système et le soufflé retombe.

Le consensus

Le consensus, est une idée généreuse qui semble idéale. Cependant, sa mise en œuvre pose deux problèmes majeurs. D’abord, le consensus présuppose la participation systématique de tous ; pourtant, certaines personnes peuvent à un instant donné ne pas se sentir concernées par un problème ou n’avoir aucune compétence sur le sujet. Ensuite, le consensus donne à chaque membre de l’organisation un droit de veto sur toutes les décisions puisqu’il suffit qu’une seule personne refuse son accord pour que la décision soit bloquée. Le consensus nécessite donc de la part de tous les membres de l’organisation une implication forte maintenue dans la durée et une volonté tout aussi forte d’aboutir systématiquement à un accord. Est-ce vraiment possible ?

De plus à bien y réfléchir, la recherche d’un consensus sonne comme un non sens et est forcément dommageable pour nombre d’entre nous. En effet, nous sommes tous différents, nous percevons obligatoirement la réalité de manière différente. Et se priver de cette richesse et diversité est pure folie !

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LA PISTE DE LA SOCIOCRATIE

Nos sociétés et nos entreprises sont devenues ingouvernables par les méthodes traditionnelles (autocratie ou démocratie participative) parce qu’elles sont trop complexes, hétérogènes, éduquées et individualistes.
À la fin des années 1960, Gerard Endenburg, un ingénieur hollandais Chef d’une entreprise d’électronique, a voulu diriger sa société de manière humaine, tout en conservant, voire développant, son efficacité et sa compétitivité. En se basant sur les idées du pédagogue Kees Boeke, son compatriote et contemporain, et en y intégrant ses connaissances en théorie des systèmes, en cybernétique et en biofeedback, Gerard Endenburg a créé, au début des années 1970, un nouveau style de gouvernance qu’il a appelé sociocratie, un mot créé par le philosophe français Auguste Comte.
Même si elle comporte d’autres aspects importants (transparence totale, définition de vision, missions et objectifs…), la sociocratie est caractérisée par quatre règles fondamentales. Ces règles de fonctionnement sont suffisamment simples pour qu’elles soient comprises par tous, indépendamment de l’âge, du niveau social, de l’origine culturelle, ou de l’expertise.

Les quatre règles de la sociocratie

1- Le mode de prise de décision par consentement.

Là où, pour agir, le consensus exige que tous les participants à une décision soient unanimes, le consentement se contente du fait qu’aucun membre n’y oppose d’objection raisonnable. Une objection est jugée raisonnable si elle bonifie une proposition à l’étude ou l’élimine complètement. L’objection n’est plus synonyme d’obstruction mais d’identification des limites qui deviennent les conditions de la réalisation de la proposition. Ainsi, une bonne décision est celle à laquelle personne n’oppose d’objection valable, car elle respecte les tolérances de ceux qui auront à vivre avec. Le principe du consentement consacre à la fois la responsabilité et le pouvoir de chacun d’exercer une influence sur son environnement de travail. Ce respect inconditionnel des personnes est un levier puissant pour garantir en retour leur participation et leur collaboration dans l’exécution des décisions. Ce mode de prise de décisions met l’accent sur la réflexion et l’écoute des arguments de chacun. Il favorise les discussions ouvertes et stimule la recherche de solutions créatives, il force la reconnaissance des besoins de l’autre. Cette façon de procéder élimine les situations gagnant/perdant qui minent constamment l’énergie des groupes et des organisations. 


2- Les cercles de concertation « De la pyramide au cercle »

Tous les systèmes vivants, comme les individus d’une organisation, sont des systèmes dynamiques capables d’évaluer et d’ajuster leur position en fonction des changements de leur environnement. Pour preuve, le système pyramidal sous l’influence de l’économie libérale, a muté vers le système stratégique (organisation par pôles, ex : RH, Marketing, Communication…).
Nos organisations actuelles indiquent implicitement que le pouvoir s’exerce de haut en bas sans mécanisme efficace du retour de l’information du bas vers le haut. Dans ce type de fonctionnement linéaire, on peut ignorer une minorité si elle n’a pas le pouvoir de se faire entendre. 
Pour remédier à cette situation, la sociocratie propose de créer une structure de décision (cercles) en parallèle à sa structure fonctionnelle. À chaque élément de celle-ci correspond un cercle. Les cercles sont connectés entre eux et organisent leur fonctionnement en utilisant la règle du consentement

3- Le double lien


Actuellement, le responsable d’une unité de travail siège sur deux cercles : le sien et celui de son supérieur hiérarchique. Il constitue ainsi le seul lien qui relie deux cercles. Le retour d’information en pâtit. L’idée est de compléter le système de communication existant en ajoutant un autre lien. Le cercle inférieur nomme un représentant qui vient siéger avec le responsable de l’équipe au cercle supérieur. Son rôle est de faire remonter l’information. Chaque cercle délègue de cette façon, un double lien dans le cercle qui le chapeaute. Ce processus libère le cadre chef d’équipe du stress « entre marteau et enclume ».

4- L’élection des personnes

Un des pouvoirs les plus importants, pour un cercle, est celui de choisir ses membres et de décider du poste et des responsabilités qu’on va confier à chacun dans le projet. Le choix et l’affectation des personnes dans une fonction ou la délégation d’une tâche se fait sur la base du consentement des membres présents et ce, après une discussion ouverte dans le cercle.

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Les apports pour les sociétés et les organisations sont nombreux

Efficacité : Les organisations qui utilisent la sociocratie constatent toutes une amélioration de la qualité due au meilleur investissement personnel de chaque membre. Une amélioration du contrôle des coûts est tout aussi systématique : plus de flexibilité, moins de réunion, prise de décision plus rapide, moins d’absentéisme. Prises par consentement, les décisions ne provoquent pas de résistance ou d’opposition, et sont donc appliquées rapidement.

Réactivité : La sociocratie aboutit à une décentralisation des décisions qui sont prises au plus près possible du terrain. Cela se traduit par une capacité à s’adapter au changement de manière et au rythme appropriés.

Créativité : Dans une organisation traditionnelle, la créativité est l’apanage de quelques-uns qui considèrent que cela fait partie de leur fonction. Dans une organisation sociocratique, chacun peut exprimer ses idées en étant certain qu’elles seront accueillies avec intérêt, examinées objectivement, et retenues si leur efficacité est démontrée.

Participation et cohésion : Grâce à la règle du consentement, tout individu peut contribuer, comme il le désire, au fonctionnement global, sans avoir jamais à sacrifier ses valeurs personnelles. Le respect et la confiance accordés à chacun permettent une participation apaisée et sans arrière-pensées. Le nombre des actes délictueux et des tensions diminue fortement.

Transparence : La règle du double lien permet une circulation du savoir et des informations de haut en bas et de bas en haut. Quel que soit le niveau, les politiques sont claires et publiques, et les décisions sont prises sur la base d’arguments et de critères connus. Chacun a accès au niveau d’information qui l’intéresse, et peut donc participer dans la mesure de ses compétences et de son désir de le faire.

Au niveau des collaborateurs, la sociocratie développe l’image de soi, des relations riches, le sentiment d’appartenance et une meilleure santé globale.

VERS UN MODELE REUNIONNAIS ?

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À La Réunion nous avons une longueur d’avance pour mettre en œuvre ce type de système. Et pour cause, nous fonctionnons déjà dans l’intégration de la diversité. Nous n’avons simplement pas encore pris le temps de tester le modèle et pourtant il nous irait comme un gant !

Pour aller plus en avant dans la recherche de ces Nouvelles Gouvernances, un Cercle des Nouvelles Gouvernances (CNG) vient de se créer ici. Libre, ouvert à tous, regroupant indifféremment des personnes des pôles : culturel, social, politique et économique, il se veut simplement un espace d’expérimentation pour trouver des pistes de progrès valables en matière de gouvernance, pour nos organisations dans cette période de changement. Il nous appartient de les tester et les adapter à notre réalité.

Une première expérimentation sera possible avec la venue de Gilles Charest. Membre du Cercle International de Sociocratie et Directeur Pédagogique pour le monde francophone, il viendra à La Réunion mi novembre faire une conférence en partenariat avec l’Ecole de Gestion et de Commerce de La Réunion.
Sources :
Gilles Charest ; collection de la Fondation de l’Entrepreneurship : « La gestion par consentement » une nouvelle façon de partager le pouvoir, éditions Publistar en 2005 « La roue des talents » pour diriger sa vie et les organisations, éditons Esserci 2007 « La démocratie se meure, vive la sociocratie ! » le mode gouvernance qui réconcilie pouvoir & coopération ; Fabien Chabreuil.

This entry was written by Sylviane Drevon , posted on Samedi octobre 10 2009at 10:10 , filed under Sociocratie and tagged , , , , , . Bookmark the permalink . Post a comment below or leave a trackback: Trackback URL.

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